J63 La team concentrée

23 km 700 D+ 1500 D- durée 11 h 30

Mather Pass.

Surnommé l’enfant sauvage du Forester, c’est un col dont la réputation n’est plus à faire.

Après un lever à 2 h du matin, et un départ à 3 h, ce sera pour le groupe une ascension dans le noir et une ambiance très haute montagne. Nous chaussons les crampons ou micro spikes, et à peine un kilomètre plus loin nous sommes dans la rampe à 45°. J’avais fait une reconnaissance la veille et avais bien repéré qu’il fallait absolument passer en montée de gauche à droite, pour rapidement arriver dans l’axe de l’immense pente. Malgré cette information, cruciale, ça ne loupe pas nous butons sous les falaises du milieu de couloir trop à droite. L’été c’est la trace officielle du PCT. En hiver c’est bien trop dangereux. Cela signifierait louvoyer entre 3 toboggans en glace à 50° et des parois de roches instables. Demi-tour. 

Une vingtaine de minutes plus tard, nous retrouvons le chemin et nous voilà dans le froid mordant à démarrer une ascension impressionnante. Pour un alpiniste ce serait à peine une course en PD (presque difficile). Ici il n’en est rien. Je suis le seul à avoir des notions de pentes raides et je prends le temps de tailler toutes les marches de la montée. Celles des prédécesseurs ont fondu, car le couloir est orienté plein sud. Ce sera long, mais au moins cela évitera une catastrophe.

Les pierres qui ont dévalé la face rappellent le caractère montagneux du lieu. Les risques objectifs sont bien présents. Bien évidemment nous n’avons pas de casque. Je suis bien plus rassuré d’être dans ce couloir avant le lever de soleil. Au moins le gel maintien ce tas de cailloux branlants en place. Je ne serais pas fier de passer en plein après-midi comme certains l’on fait ! Bienheureux les innocents, qui s’aventure ici sans tenir compte des règles élémentaires de sécurité.

Nous continuons, dans un silence juste troublé par les crampons et piolets qui mordent la glace. J’apprécie ce moment suspendu entre terre et ciel. Nous prenons rapidement de l’altitude et la lumière des frontales renforce l’impression de pente du couloir. Aux deux tiers de celui-ci, nous arrivons sous le tas de cailloux bien instables sous le col. Après une traversée en balcon au-dessus de la falaise que nous avons contournée précédemment, nous montons direct vers le ressaut intermédiaire.

Nous sommes une cinquantaine de mètres sous le PCT officiel qui nous nargue. Nous devinons le muret du chemin taillé dans la roche. Il est recouvert de névés et son inclinaison est un vrai repoussoir. Nous avons bien fait de passer par dessous, même si cela impose une progression de bouquetins de compétitions. Les traces se redressent franchement sur la fin, obligeant à poser les mains. L’éboulis de cailloux instables n’est pas très engageant, mais bon, il serait malvenu de vouloir faire demi-tour maintenant. La concentration du groupe est palpable. Chacun est vigilant à ce que tout se finisse au mieux. Je sens qu’il est temps d’arriver, plusieurs d’entre nous ont quitté leurs zones de confort depuis un moment. La dernière section avant de franchir la corniche qui a été taillée par les précédents hikers est splendide.

Nous sommes presque au bout des difficultés. Les sommets commencent à s’éclairer et je savoure l’instant. Je peux me redresser sur le col, avec un peu d’avance. Hélène, concentrée, est bientôt engagée dans le raidillon terminal. De profil le ressaut est moins penché que vue du dessous. Les derniers pas à plus de 60° sont le final avant la délivrance. Je prends le temps de faire les photos, qui seront pour beaucoup les seules de ce passage mythique.

Hélène se redresse enfin et est rejointe par Tamara qui l’a talonné. Celles-ci se congratulent. J’entends deux trois larmes et la pression nerveuse qui fait relâche. Le reste suit et tout le monde se félicite. Pour des non-alpinistes, c’est une vraie victoire. Le PCT prend ici une dimension à part des autres chemins déjà parcourus. Le groupe en sort éprouvé tant physiquement que psychiquement, mais je ne peux que saluer la performance. L’absence de corde, le poids des sacs à dos ajoutent encore au côté remarquable de l’ascension. 

C’est clairement plus proche d’une petite course d’alpinisme que d’une randonnée débonnaire. Nous savions tous que rentrer tôt dans la Sierra, presque un mois avant la date conseillée, du 15 juin serait un vrai challenge. Nous confirmons.

Mais… c’est fait. It’s done et de la plus belle des façons, tranquillement, calmement, sans prise de risque trop important. 

Nous voyons au bas du couloir le groupe de Régis qui s’engage dans la montée, sur les traces taillées. Ils devraient être plus rapides, n’ayant pas à faire l’effort de recherche d’itinéraire et les marches étant faites. Ce sera le cas. 

Nous finissions de faire les photos et commençons à préparer la descente.

Je me méfie comme de la peste des descentes ! Je sais par expérience que les accidents sont plus fréquents, diminution de l’attention, sensation d’avoir fait le plus dur, mais aussi choix des passages souvent plus complexes. Ça ne loupe pas !

Cela débute par une erreur de progression de l’un d’entre nous qui s’engage un peu trop avant dans une zone de falaises à notre droite, nous obligeant à un demi-tour. Il en résulte une séparation involontaire du groupe. Tamara, Anthony, Chloé et Benjamin ne s’aperçoivent pas que nous avons rebroussé chemin. Ils sont concentrés à assurer leurs appuis, et ne nous voient pas passer sous une épaule rocheuse. Nous sommes à juste cinquante mètres d’eux. J’étais persuadé que nous étions visibles puisque nous les avions en visuel. Première erreur.

Ceux-ci sont alors rattrapés par la Tramily de Régis, et les suivent pour poursuivre la descente. Sauf que ce groupe va droit dans la zone des falaises que j’avais identifiée comme trop hasardeuse. Seconde erreur. À peine 15 minutes plus tard, Janet, IceBreaker, Hélène et moi sommes sous la paroi et les voyons s’engager au-dessus de nous. Nous les informons du danger, mais ils continuent malgré tout.

Je décide de ne pas rester à l’aplomb et accélère le pas. Le nombre de gens en équilibre au-dessus de nous expose au risque de se prendre un randonneur sur la tête. Soudain Hélène m’interpelle. Un sac vient de tomber ! Sauf que le sac-à-dos finit par lever un bras. 

Et merde, c’était couru d’avance ! Je pose mes affaires et remonte en sprintant la pente. Régis a prévenu le groupe de ma présence et intime l’ordre aux hikers au-dessus de la falaise de faire demi-tour.

Waddle, une jeune femme a fait une chute d’environ 50 mètres, et a sauté une barre rocheuse de 5 mètres. Elle est bien sonnée, mais est consciente. Je l’examine. Cela semble plutôt pas mal. Par contre la plaie de la face est trop importante pour que je puisse faire les soins. Nous décidons d’activer la balise GPS, et informons le 911. Elle sera évacuée après une heure trente d’attente de l’hélicoptère. Plus de peur, que de mal ! Le reste des PCTistes finissent par arriver. Nous sommes rejoints par Anthony, Tamara, Benjamin et Chloé. L’ambiance est tendue, du fait de l’erreur de notre séparation dans un secteur dangereux et du stress généré par la chute. 

Après discussion, la pression redescend et chacun comprend les bourdes commises. Nous nous en sortons à bon compte. Mais c’est un avertissement, la haute montagne est et reste un environnement où la moindre faute se paye comptant. 

La poursuite de cette longue journée sera plus tranquille. Nous longeons pendant 10 km un torrent, Palissade Creek, en crue, sous les pentes de Knapsack Peak au nord et de Rambaud Peak au sud. Le canyon de Deer Meadow est majestueux et le chemin taillé dans la falaise. C’est un tour de force que d’être passé ici. Nous aurons la chance de voir un bobcat, félin proche du lynx, puis un troupeau de biches à moins de 10 m. Cool.

Au kilomètre dix-huit, nous faisons une pause sous le pic Giraud, au croisement des rivières Palissade et Middle Fork King River. Après discussion, nous décidons de continuer pour dormir 5 km et 250 mètres de dénivelé plus loin et haut. Nous sentons que Janet et épuisée, mais il nous faut avancer au plus près du col de Bishop. 

Le site de campement se fait à la jonction du PCT et de l’échappatoire de demain au pied de Langille Peak dans Le Conte Canyon. Nous sommes… 23 hikers. Il a y du monde dans la Sierra ce soir. Janet finit par nous rejoindre, ainsi que Régis. Celle-ci monte sa tente en pleurant. La journée aura été une des plus éprouvantes qui soit, à tout point de vue. Nous allons la consoler et la féliciter. Elle a été au bout d’elle-même. Tamara et Anthony sont arrêtés au km 18. Ils se lèveront plus tôt demain pour nous rejoindre. 

Tantôt, nous ressortons en ville. Enfin.

Régis partira avec nous. On sent que le groupe de Waddle est bien touché par sa chute. On peut les comprendre. 

Nous sommes encore bien fatigués. Peut-être moins que la première section de la Sierra, mais on devine quand même que les organismes commencent de nouveau à être en déficit de sommeil et de nourriture. Par contre, mauvaise nouvelle, le passage de Mather m’a déclenché une périostite tibiale. J’espère que je ne vais pas trop ramer avec la douleur. 

Will See. 

J64

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