28 km 1100 D+ 600 D- durée 9 h00
Nous entrons dans le monde de la haute altitude.
Nous ne redescendrons pas en dessous de 3000 m avant 3 jours.
Nous savons que nous allons avoir une importante journée de marche. Nous serons au plus bas à 2900 mètres ce matin, en quittant le camp et nous serons au point culminant de notre étape ce soir. Ce sera une de ces journées incroyables que seul le PCT est capable d’offrir. Nous devons utiliser toutes nos compétences de randonneur, l’endurance, bien évidemment, mais aussi la résilience, car la solitude et l’éloignement de la civilisation n’ont jamais été autant présents.
Le démarrage au matin se fait plutôt aisément, le sentier, fine trace sablonneuse, hors neige se faufile dans l’une des belles forêts que nous ayons traversées. Nous commençons sur une crête rocheuse, Sharknose Ridge, qui surplombe les vallées d’Owens et son immense lac, puis South Fork Ash Creek, et d’Ash Creek, où nous montons de 350 m de dénivelé en 1h 30. Les couleurs au lever de soleil sont magnifiques, et les températures pas trop chaudes permettent d’avancer rapidement.
La forêt qui nous entoure est probablement multimillénaire. Les arbres sont torturés avec des branches en tourbillon de teintes ocre, jaunes ou blanches. Cette partie de Sequoia National Forest est connue pour abriter des espèces dont l’âge dépasse plus de 3000 ans. Nous ne passerons pas loin de conifères parmi les plus vieux du monde, entre 4500 et 5000 ans. Imaginer que des êtres vivants soient contemporains des Sumériens donne plus que le vertige. Sauf qu’ici aussi, les conséquences de notre immaturité d’humain commencent à menacer ces grands anciens.
Malgré la montée en altitude, nous n’avons pas besoin de mettre les crampons pour progresser, la neige étant gelée et portante. C’est une vraie chance. À midi, nous arrivons au niveau d’une zone en descente, qui surplombe Ash Meadows. Nous décidons de nous arrêter avec Janet pour faire la pause déjeuner. Le lieu est incroyable, immense forêt, aux BritleScone de toutes tailles. Des troncs d’arbres morts, au sol, ou encore sur pied, dévoilent leurs anatomies torturées. Certains ressemblent à des débuts de tornades ligneuses figées.
Il est impossible de ne pas être stupéfait devant la variété invraisemblable des formes tortueuses des bois secs. La densité de l’aubier et du duramen, remplis de résine leur permet de ne pas de se décomposer rapidement et certaines branches ont des âges évalués à 10 000 ans. Nous ne verrons pas les grands séquoias, mais nous observons, peut-être et sûrement, des lieux et arbres aussi spectaculaires et extraordinaires ! Nous recroisons Tamara et Anthony, qui reprenne le sentier, ils avancent plus lentement ce jour.
Nous repartons tôt, et ne traînons pas. Nous savons que nous allons avoir une suite d’étape plus longue, le chemin ne faisant plus que monter à partir de maintenant. Nous allons devoir évoluer dans un environnement ou la neige va se faire plus présente. Rapidement, dès le col séparant Diaz Creek et Mulkey Creek, le PCT bifurque vers l’ouest. Il se faufile dans les escarpements de Trail Peak.
Nous passons les cols de Mulkey Pass et Trail Pass. Les pentes encombrées obligent à chausser les crampons et la vitesse est sévèrement diminuée. Des congères sont formées et nécessitent moult acrobaties pour les franchir. Devoir grimper dans des sections raides avec nos gros sacs est usant physiquement et mentalement. Par contre, cerise sur la neige, nous avons la chance de voir un coyote à deux reprises dans Poison Meadows. Il va nous observer à environ 200 m pendant une dizaine de minutes.
Nous avançons au mieux entre 1,5 et 2 km/h et commençons à trouver le temps long. Nous ne progressons plus qu’au GPS et à la visée directe des courbes de niveau, le PCT n’étant plus visible. C’est une sensation étrange que ce déplacement hors trace. Nous avons l’impression de vivre, un peu, ce que les pionniers ont connu il y a plus d’un siècle auparavant. Au vingt sixième kilomètre, nous profitons pour nous ravitailler en eau. Ce soir le camp sera sec, à 3380 m, au niveau du col de CottonWood pass, qui est complètement blanc, à l’exception de quelques rares zones permettant de poser les tentes. Ambiance fraîche. Il fait probablement zéro dès le coucher du soleil.
Nous sommes seuls, avec Janet. Benjamin, Chloé, Tamara et Anthony sont plus lents et encore derrière nous. Nous sommes rejoints une heure après notre arrivée par Benjamin et Chloé. Tamara et Anthony seront encore plus tardifs, juste à la tombée de la nuit. Tamara a eu peur dans les pentes raides avec ses micros spikes. Nous espérons que le moral ne soit pas trop entamé.
Demain nous filons au pied du Mont Whitney, le plus haut sommet des USA hors Alaska.
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