
Zero Day
Ce cinquantième jour est particulier.
Nous devons préparer et organiser la prochaine étape.
Celle-ci est unique. Nous savons que nous allons devoir marcher longtemps, en haute altitude et dans le froid. Nous ne connaissons pas l’état du sentier. Les seules informations que nous avons sont celles des randonneurs qui ont franchi la sierra… 10 jours plus tôt. Et comme ces données ont au minimum une semaine de décalage, elles sont à prendre avec un vrai recul.
Nous discutons tous ensemble et j’explique ce que je pense être une bonne stratégie. Dans un premier temps, s’assurer que la météo garantisse de pouvoir passer à minima le col Forester, à 4000 m, sans mauvais temps, puis considérer que la neige sera omniprésente. Ce dont nous sommes surs, les prédécesseurs ayant marché entre 5 et 8 jours dans le blanc. Nous progresserons donc plus lentement.
Nous préparons un avancement à l’identique de ce que les premiers ont vécu. Nous espérons qu’avec la fonte nous aurons des conditions plus clémentes. Nous décidons de prendre 8 jours d’autonomie. Cela correspond à sept jours d’avance dans la première partie de la Haute Sierra, auquel nous ajoutons une journée de sécurité. Chloé et Benjamin nous ont rejoints la veille, et vont partir avec notre groupe. Régis, par contre, attend des colis, avec tente et sac à dos. Il espère débuter au mieux dans 5 à 6 jours. Nous sommes donc 7, Tamara, Anthony, Chloé, Benjamin, Janet, Hélène et moi. Janet décide de nommer ce groupe la Team Fantastic. Paradoxalement, Janet sera la seule américaine. Cela nous va bien, l’ambiance est sympa et tout le monde est motivé.
Nous sommes sur tous les fronts dès le matin. Nous déjeunons, puis dînons au restaurant Grumpy’s, où nous dévorons hamburgers géants de 25 cm de haut avec 3 viandes, avocats, puis milk shakes et pancakes d’un kilogramme. On arrive presque à finir nos assiettes, seul le pancake résiste. Il est vraiment effrayant et peu de randonneurs parviennent au bout de celui-ci. C’est un challenge bien connu que « the beast ». Les repas font au minimum entre 3000 et 5000 kcal. Hélène va d’ailleurs faire sensation en attaquant le burger Triple Crown Burger. C’est démesuré, colossal, un vrai scandale diététique. Celle-ci réussira à le terminer, à la grande surprise de la serveuse. Elle viendra dire à Hélène que c’est injuste, les randonneurs mangent de façon honteuse et malgré cela ils perdent du poids ! « It’s a shame, despite your incredible diet you’re losing weight! »
En début d’après-midi, nous filons faire nos achats en remplacement de matériels usés, ou cassés, sans oublier le ravitaillement de nourriture pour 8 jours (plus un petit déjeuner).
Nous allons au magasin de sport à proximité de Grumpy’s, le célèbre Triple Crown Outfitters. Il n’existe que pendant les 3 mois de la saison du PCT. Il est tenu par une randonneuse Yogi qui est triple Crowner. Elle ne fait pas l’unanimité dans la communauté des hikers, du fait de sa situation et du monopole local. Nous irons malgré tout au seul endroit permettant de se ravitailler. Effectivement, l’exclusivité autorise quelques écarts de prix et la facture est monstrueuse. Pas moins de 250 euros la semaine par personne de nourriture ! Pas le choix, c’est l’unique magasin à des kilomètres à la ronde.
Nous repartons vers notre campement, et installons une pyramide de lyophilisées, barres, pot de beurre de cacahuètes sur la table de piquenique devant la yourte. Va alors démarrer une épreuve de Tetris consistant à faire rentrer 8 jours de nourriture dans les fameuses boîtes à Ours. Nous regardons et apprenons des autres randonneurs, les chips sont aplatis en fins copeaux, les sacs vidés de leurs surplus d’air, les Snickers rangées aux millimètres près en couche serrée dans le réceptacle. Nous nous retrouvons avec un mille-feuille extraordinaire de junk food. Nous finissons par y arriver, après une bonne heure de préparation, cogitation et surtout de patience. Et dire qu’il faudra fouiller dedans dans les prochains jours !
Nous trichons aussi, un peu, pas trop. Nous savons que la protection anti ours est obligatoire après la deuxième étape. Nous avons donc, 7 jours dans la boîte et 2 jours dans notre classique SakaBouffe. Nous suspendrons celui-ci dans les arbres comme à l’accoutumée. Ce n’est qu’au prix de ces petites concessions que nous arrivons à faire rentrer tout notre bazar dans les sacs à dos. Ils sont d’ailleurs devenues des enclumes, car s’ajoute à ce poids, piolet, crampon, et vêtement chauds. Pour ne pas nous miner le moral, nous ne pesons pas nos sacs. De toute façon, cela ne changerait rien au fait qu’il faille porter ceux-ci.
Nous sommes prêts au départ pour la Sierra demain. La pression et l’excitation sont perceptibles. Nous regardons les randonneurs du jour partir. C’est rassurant, nous ne serons pas seuls. C’est aussi un rien stressant. Ils ne font pas les malins et les visages sont sérieux. Nous verrons bien.
Go to Canada.