
37 km 900D+ 900D- durée 12 h 30
On poursuit notre progression au sein des forêts de l’Oregon.
Nous avons l’impression d’une immense fuite en avant vers le Nord. Cela donne le vertige. Nous n’avons plus quitté les forêts depuis Seiad. Cela fait presque une semaine que c’est un long tunnel de verdure. Heureusement ce jour, les collines sont un peu hautes et au passage des cols sans nom ou le long des crêtes nous avons des vues sur les paysages monumentaux de l’Oregon. La densité des arbres est moindre et des clairières, plus présentes, permettent d’apprécier les couleurs du levant.
Après un déjeuner pris en présence de quelques moustiques et après une nuit moins reposante, un cerf a fait preuve d’indiscrétion en grattant autour des tentes, nous sommes de nouveau au boulot !
La marche au matin est moins agréable. En fait, elle va même devenir des plus insupportables. Nous avons droit au pire du PCT. À tous points de vue, c’est une association de malfaiteurs composée d’arbres morts et d’anophèles. Pour commencer une longue succession de widows makers va nous ralentir et être franchement usante. Le premier tronc passé, on fait bonne figure, après plus de cent répétitions, on frôle la folie. Le chemin n’est plus entretenu.
Nous savons bien que la forêt primaire est vivante, et ces arbres au sol sont normaux. Sauf que cela la progression complexe et fatigante. Ensuite les moustiques sont de retour. Ils sont assoiffés de sang, innombrables, tous plus déterminés les uns que les autres à vous coller une anémie. Trois heures durant cela a été l’enfer. Du coup, Hélène finit par se couvrir de DEET, avec Régis. Je les entends à plusieurs reprises hurler de rage après ces indésirables, mais ils s’obstinent à rester en short et tee-shirt, du fait de la chaleur.
Moi, j’ai choisi de randonner avec mes vêtements de pluie. C’est l’étuve, mais au moins je ne deviens pas fou. La protection mécanique est la solution. Sauf qu’il fait encore plus chaud. C’est éreintant pour le moral. La question de savoir ce que l’on fait là tourne en boucle. La motivation pour poursuivre dans ces conditions est difficile à trouver.
Nous croisons un randonneur qui vit un épisode toujours plus compliqué. La bretelle de son sac à dos est cassée et non réparable. Il cumule en quelques minutes, chaleur, moustiques et portage douloureux. Comme quoi, cela peut encore être pire sur ce PCT.
Heureusement, au moment même où les piqûres virent à l’obsession, succède un après-midi d’une tout autre nature. Les vampires se calment, et les paysages offrent enfin des vues gigantesques et apaisantes, dômes volcaniques dans le lointain, sentier en balcon au-dessus de lacs de montagne. Il n’en faut pas plus pour revivre.
À partir de Luther mountain, nous avançons sur une crête rocheuse et recommençons à croiser des forêts brûlées. Les panoramas sont plus visibles, et nous apprécions, même si c’est au prix d’arbres détruits. Nous passons Shall Butt à 2200 mètres d’altitude, puis Lucifer Peak, et arrivons à un col sans nom entre Devil’s peak et Lee Peak. Dans le cirque, en face Nord, nous avons de nouveau un névé.
Incroyable, nous sommes mi-juillet et, il encore suffisant important pour vous envoyer plus bas. Régis finira d’ailleurs sur les fesses. Nous franchissons l’obstacle sans difficulté et moins de 10 minutes après sommes sur la terre ferme. La descente de plus de 500 mètres est magnifique. À mi-distance nous croisons une source abondante. Nous nous posons, faisons ravitaillement et pause. Nous sommes rejoints par un couple de Triple Crowner, Yéti et Spetzel en voyage de noce sur le PCT. Nous les avions rencontrés au début de la Sierra, et les pensions loin devant. En fait, ils ont fait une césure famille d’une semaine. Ce sont des machines et marche entre 40 et 50 kilomètres par jour. Respect !
En fin d’après-midi, changement d’ambiance, on entre dans une zone appelée le désert de l’Oregon. C’est un no man’s land où tout a brûlé avec l’incendie du Blanket Creek fire de 2017. Les arbres en sont réduits à de fines allumettes, noircis et cassés à différentes hauteurs. L’atmosphère est réellement particulière. Nous sommes entre admiration des paysages visibles et désespérance de tout ce gâchis. Le biotope est irrémédiablement détruit. D’aucuns ont beau nous expliquer que c’est le cycle naturel des forêts, c’est faire preuve d’un optimisme aveugle. Ces forêts ne repousseront plus. L’augmentation des températures moyennes, du fait de la course industrielle irraisonnée et d’un mode de vie suicidaire, condamne ces lieux et ce sont de futurs déserts que nous contemplons.
Au trente-cinquième nous trouvons, par hasard, sur le bord du chemin un névé en train de fondre. Il offre une possibilité de ravitaillement des plus étonnantes. Nous avons l’impression d’être des survivants d’une époque post apocalyptique, à filtrer cette eau qui descend en une fine rigole dans des cendres noires. Nous évitons ainsi une sortie vers Jack Spring à l’ouest.
Nous marchons encore deux kilomètres, et entrons dans une petite forêt intacte dans la zone brûlée ou nous pourrons monter la tente. Régis décide de continuer cinq kilomètres. Il veut arriver tôt à Crater Lake tantôt. Nous installons notre couchage et serons seuls.
Demain, nous serons sur l’un des lieux emblématiques du PCT. Cool.
Keep Going