J45 Walker Pass

33 km 1000 D+ 1100 D- durée 7 h 30

Le réveil a une saveur particulière.

Nous savons que nous arriverons aujourd’hui à Walker Pass. Le col est un de ces lieux qui marque l’avancée sur le PCT. Il est, plus que le départ de Tehachepi, un moment où les modifications géographiques sont rapides. Le désert est toujours présent, mais plus lointain. Les dénivelés sont maintenant plus proche de ceux que nous connaîtrons dans une semaine. Les couleurs changent vite, et certaines vues sur les montagnes au loin invitent à la contemplation. 

À Walker Pass, nous irons à Lake Isabella, ou nous ferons ravitaillement, toilettes et lessives. C’est devenu une part importante de l’aventure ces passages en ville. Nous vivons ces moments comme autant de découvertes de l’Amérique.

La nuit a presque été sans particularité. Hélène a de nouveau son matelas qui fuit. Ce n’est pas surprenant dans cet environnement bourré d’épines de tous calibres, tailles et formes. Par contre c’est pénible. Malgré des précautions d’usage, nettoyage de l’intérieur bi quotidien, utilisation de protection supplémentaire sous la tente, c’est difficile de ne pas percer nos couchages. C’est d’ailleurs pour cela que certains randonneurs optent pour un confort diminuer sans risque de crevaison, et utilisent des matelas en mousse. Nous, nous préférons assurer notre bien être nocturne. Il est garant de notre bonne récupération physique. Nous prendrons le temps de faire le nécessaire dans quelques heures, en espérant que rustines et colles permettront de résoudre le problème.

Nous démarrons par une ascension magnifique sur les flancs sud du mont Skinner Peak qui nous domine. Les 550 mètres sont rapides et moins de 6 kilomètres plus tard nous sommes à moins de 30 mètres sous le sommet que nous contournons par la face est. Les vues sur Horse Canyon que nous surplombons sont magiques. Nous avons les couleurs de l’heure d’or si chère aux photographes. Elles teintent les pentes arborées de toute la palette des rouges, jaunes, oranges qui existent. Minutes éphémères et incroyables. 

Nous continuons à évoluer dans un environnement de colline et les paysages changent peu. Au détour d’un col, nous avons soudainement une vue sur la Sierra et le mont Whitney. Les sommets sont à la fois proches et distants. L’endroit est vraiment extraordinaire. C’est le dernier moment ou nous voyons les montagnes enneigées au sud, marches lointaines, tout en devinant les prochaines aventures qui se dessinent au loin. C’est encore bien blanc et nous sommes maintenant sûrs que dans une semaine nous marcherons dans la neige.

Nous continuons à alterner entre versants secs et fleuris. Les plantes commencent à faner et les pentes se ressemblent de plus en plus. On sent que le printemps est en train de céder à l’été. Ce sera bientôt compliqué d’avancer. Nous n’osons pas imaginer l’épreuve que constituera le PCT sous 30 degrés à l’ombre dans quelques mois. Pour nous c’est déjà chaud, alors qu’il ne fait que 18°. Nous sommes en mode cuisson lente dans les faces exposées. Cela va être l’enfer ici. Nous ne regrettons pas notre départ début avril.

Depuis deux jours nous marchons, et ce quelle que soit l’altitude, sur du sable. Les collines sont des chaos de granit de toutes formes et le sol une arène granitique gigantesque. C’est usant pour les pieds. Heureusement, nous sommes de plus en plus affûtés physiquement et la progression est efficace. Par contre cela coûte sacrément en énergie et il est temps de pouvoir ingérer une énorme quantité de calories pour renflouer les organismes.

Après avoir évolué le reste de la journée sur une crête ouverte qui franchit plusieurs départs de canyons immenses, Sage, Boulder, Cow Heaven, Smith, nous arrivons au vingt cinquième kilomètres au départ de la descente de Walker Pass. C’est étonnant, on a l’impression que le chemin se jette littéralement dans de grandes pentes sans fonds. C’est presque le jumeau de la montée de ce matin, 500 mètres pour 7 kilomètres. L’environnement est austère, orienté plein ouest. L’avancée est une vraie épreuve. Il n’y’a plus d’air, un soleil de fin d’après-midi omniprésent, et plus du tout de possibilité de se ravitailler en eau. Ce sera par moment franchement pénible. Les couleurs, la persistance du bloom flower compensent et nous progressons du mieux que nous pouvons. Nous rattrapons Janet en cette fin de journée. Elle était partie plus tôt ce matin. Elle n’était pas sereine sur ses capacités physiques. Elle doutait d’arriver à marcher 20 miles en plein soleil. En pratique, elle est fatiguée ce soir, mais avance encore d’un bon pas. À 64 ans, c’est une vraie machine. 

Nous sommes enfin à Walker Pass après moins de 8 h 00 de déambulation, vers 16 h 00. Nous apprécions de ne pas être tard. Cela va nous permettre de faire du stop facilement et d’aller au camping de Lake Isabella.

Le lieu est grand et bien conçu. Par contre, le gérant, un ancien militaire, accueille Janet froidement. On devine que les PCTistes sont une population qu’il tolère et que nous ne sommes pas plus bienvenues que cela. Peu importe, la pelouse est plate, verte, et à l’ombre. Un vrai golf. La douche est trois étoiles, même si nous devrons la prendre 3 fois pour être enfin  propres. La lessive est faite rapidement, aidée par d’autres campeurs qui nous donnent de la poudre.

Pour le repas du soir, nous filons en ville à pied. Nous sommes, avec Hélène scotchée. Lake Isabelle est une veille fantôme, dont on devine la gloire passée du temps de la ruée vers l’or. C’est triste et empreint de nostalgie. Le restaurant est vide et nous ne serons que 6 dans une salle pour plus de 50 personnes. Par contre, les plats sont un cran au-dessus des sacro-saints burgers. Le barbecue du soir est succulent. 

Nous remontons au camping en stop. Le conducteur est indescriptible. D’un âge indéterminé, il nous raconte dans un nuage de fumée cannabique ses souvenirs de Wood stock, sa tentative de traversée du PCT et de l’Europe en 1970 !! Le moment est exceptionnel. Avoir 20 ans et être hippie en 1970 semble avoir été une expérience hors du temps. Nous mesurons notre chance de côtoyer cette Amérique si différente de ce qu’elle est devenue.   

Demain, nous nous ravitaillerons pour la prochaine section de trois jours et nous verrons si nous décollons vers la Sierra ou si nous faisons une pause plus longue.

Keep going

J46

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