20 km 500 D+ 900 D- durée 5 h 30
Nous sommes maintenant sur le sentier comme à la maison, à notre place.
Le réveil aux aurores est devenu normal et agréable. Il permet de profiter de ces instants rares ou le lever de soleil colore la nature de teinte éphémère, orange et bleue. La nuit a été reposante, et il ne fait plus froid au sortir des duvets. Ou alors, nos corps se sont habitués à la fraîcheur du matin.
Nous allons récupérer nos affaires et notre nourriture que nous avions mises à l’abri dans les toilettes sèches. Surprise, Janet a la malchance d’avoir ses sacs ouverts et éventrés par des souris zélées. Visiblement, elles ont fait la fête. Elle n’avait pas, hier soir, suspendu ceux-ci. Funeste erreur, les céréales, les haricots déshydratés et une partie des barres énergétiques sont manquants. Heureusement qu’il reste juste une nuit et nous serons à Hiker town pour nous ravitailler. Au pire, nous partagerons nos affaires.
Nous déjeunons tous ensemble sur la table de pique-nique en bois. Postcard a un petit moral, il sait qu’il va devoir quitter temporairement le PCT, car un membre de sa famille vient de décéder. Ce n’est pas facile de commencer un deuil dans ces conditions. La solitude et l’éloignement des proches amplifient tous les sentiments. Le fait de devoir aussi continuer le chemin envers et contre soi-même n’est pas chose aisée.
Il partira un peu plus tard. Nous respectons son choix. Nous avons de toute façon convenu d’un campement commun ce soir.
Nous démarrons dans le bon sens et apprécions d’être dans une forêt d’arbres de taille moyenne. Le sol est entièrement vert, couvert de la pousse folle des herbes. À celles-ci, s’ajoute les tons salades et les fleurs blanches de la laitue de mineurs en un mélange étonnant. Nous avons l’impression d’avancer sur un green de Golf.
Le chemin est très semblable à celui de la veille, en balcon au-dessus du Mojave. C’est à la fois frustrant et agréable. Décevant de ne pas déjà y être, car nous sommes maintenant impatients. C’est aussi plaisant de prendre son temps pour embrasser le moment en devenir. C’est une étape importante du PCT. Symboliquement l’arrivée dans la plaine du Mojave signifie que dans quelques jours la partie dite « SoCal » du PCT sera finie. Ce n’est pas encore le cas, mais cela se rapproche.
Sur le chemin, les couleurs explosent littéralement. Aux verts laitue de la comestible, Lettuce Minors, en plein bloom, s’ajoute maintenant les nuances jade et rouge sang des feuilles de chêne, qui se confondent par moment avec le blanc et les ocres des sols sablonneux du désert. Clairement, nous sommes chanceux. Le printemps californien est cette année particulièrement beau. Par endroit les praires ne sont que d’immenses tapis de fleurs, roses, jaunes, bleues.
Nous alternons entre pistes, et sentier à flanc de collines. Nous passons le mile 500, soit 800 kilomètres ! Celui-ci est écrit en lettre capitale dans la terre, et ne peut pas être ignoré.
Nous avançons maintenant plus avant dans l’inconnue de la longue distance. Par contre, nous sommes encore obligés de composer avec les « Poodle dog bush » pendant une dizaine de kilomètres. En étant vigilant, cela se fait sans difficulté. L’aspect pénible de leurs présences est qu’on ne peut pas s’arrêter pour nos pauses et s’asseoir sur le bord de chemin. Nous croisons pas mal de forêts brûlées et les fines branches blanches des arbustes créent une ambiance fantomatique, propice à la rêverie. Nous entendons aussi dans le lointain les chuintements caractéristiques d’un Puma. Pas étonnants ils sont endémiques dans la région.
La progression est facile, les montées sont peu importantes et les pentes peu raides. Le chemin louvoie aux plus évidents entre les cols et les crêtes de Liebre Mountains. À partir du 12 kilomètres, nous n’avons plus que de la descente. Face à nous la gigantesque vallée d’Antelope et la prairie de Kern, triangle à pointe ouest du désert du Mojave, nous assomme de son omniprésence. Le désert est coincé à moins de 1000 mètres d’altitude entre des sommets de plus de 1700 mètres. Le spectacle est indescriptible et démesuré, à l’image de ce qu’est le Far Ouest-américain.
Ce soir, nous campons aux portes de celui-ci, à dix kilomètres d’Hikertown, dans Pine Canyon Road. Nous avons trouvé après une dizaine de minutes de recherche les emplacements de tente le long de la rivière Cow Spring. Le débit est énorme et c’est fabuleux. Nous voilà officiellement dans le désert et l’eau est abondante. Nous allons pouvoir boire tout notre saoul, mais aussi nous laver. C’est un bonheur simple, mais nous sommes devenus peu exigeants. La poussière est notre compagne de route et nous n’y faisons plus attention, sauf qu’à bien y regarder nous sommes de vrais petits cochons. Nos jambes ne sont pas que bronzées !
Hélène va en faisant ses ablutions ce soir, se voir dénommer de son futur trail name, à savoir Happy Feet par PostCard.
PostCard et Régis nous rejoignent un peu plus tard. Celui-ci à meilleur moral. Il nous quittera dans 3 jours.
Demain d’où nous irons faire le ravitaillement à Lancaster. Nous espérons que la séance d’autostop pour aller en ville ne sera pas trop compliquée. Je passerais aussi récupérer mon matelas que j’ai commandé il y a deux jours, au moment où j’avais internet dans les collines.
Nous profiterons du moment pour manger et faire notre lessive. Normalement samedi nous attaquerons les 40 kilomètres de la traversée de la plaine de Kern, dans sa petite portion pour filer franchement au nord.
Keep going.